La liberté

Le lieu où l'on invente des formes, où l'on crée, n'est pas anodin. L'atelier de Didier Majewski, hangar glacé l'hiver, surchauffé l'été, plonge ses vergues dans l'eau des canaux qui se jettent dans ce qui fut " la Gare d'eau " de Béthune, gare d'eau fréquentée jadis par les convois de péniches, aujourd'hui par des promeneurs et des oiseaux. Pour l'amateur de la nature que l'artiste peut être, ce paysage vert, où percent les quelques notes jaunes des nénuphars, correspond à un regard qui cherche la densité forte des verts et des arbres que le spectateur retrouve, s'il le souhaite, esquissée dans telle ou telle peinture.

Densité de l'image esquissée, là, présente, et pourtant totalement implicite, échappant à toute explication, évocation du silence de l'artiste qui refuse pour désigner son œuvre tout mot qui enferme, toute désignation catégorielle, tout titre aussi. Lui-même découvre bien souvent qu'il a peint, sans le savoir réellement, tel ou tel fragment de réel qui s'impose au spectateur qu'il devient lui-même par la suite. Un rideau de théâtre se dessine là dans le rouge dense dont il a eu envie. Didier Majewski n'emploie pas de grands mots, il n'évoque pas l'inconscient de l'artiste. Il s'étonne de ce que le faire amène, de ce que le désir appelle. " Sais-tu, demande-t-il, pourquoi tu as envie d'une pêche plutôt que d'une poire quand tu as à choisir un fruit ? J'aime bien quand c'est " goûteux ", parfumé. Ce peut être la pomme verte ou l'orange. Ce qui me plaît, c'est de manipuler la couleur… ". La question posée était celle à la limite caricaturale du critique qui veut savoir pourquoi il choisit telle ou telle couleur, s'il y a des saisons pour telle ou telle couleur, l'hiver, le noir, l'été, l'orange…

Ce que la réponse révèle, c'est le plaisir du faire (" C'est l'utilisation de la couleur qui m'intéresse "). Du " goûteux ", il a choisi la plus jouissive des techniques, celle de la peinture à l'huile, qui sent fort, qui sèche lentement, qui crée des épaisseurs. Odeur, plaisir de la temporalité et énergie s'entremêlent. La sensualité de son désir de peindre va jusqu'à l'amener à prendre la matière huileuse à pleines mains pour l'étaler sur la toile ou le papier marouflé sur toile, à bras le corps, d'où d'immenses formats (2 mètres sur 2), comme celui de ce bras d'eau rouge sous le soleil couchant, au pied duquel rêve, peut-être, un piano noir ou un banc (la mélancolie du paysage emporte l'interprétation vers le premier sens !).

Du " goûteux ", Didier Majewski retient aussi le plaisir du geste, lorsqu'il étale la peinture avec la même brosse que celle des lavandières de jadis…Le trait agité et nerveux qu'elle crée laisse alors voir dans les interstices la sous-couche, comme une seconde peau, fraîcheur d'une teinte révélée par cette note plus forte, plus noire, plus foncée. Ce brossage vigoureux donne une vibration à certaines de ses toiles, comme s'il se fût agi d'une partition musicale ou d'une symphonie. Des masses plus claires s'inscrivent en dessous de ces lignes de partition noires qui sont en mouvement, oscillant comme un ciel couvert de nuages en déplacement.

Est-ce une page d'écriture musicale, signe du travail humain, ou les lignes laissées par un avion, ou encore des bandes striées de nuages ? Il importe que l'on ne sache pas exactement où l'on se situe, s'il s'agit d'un paysage ou de simples lignes graphiques. Le pylône à ce titre est aussi intéressant dans la géométrie graphique qu'il érige au cœur des champs que peut l'être la masse colorée d'un buisson d'aubépines. L'homme reste placé au centre de l'univers ou s'y trouve à demi caché. La confusion entre espace naturel et espace urbain, espace citadin, est recherchée par le peintre. Griffure réalisée avec un clou qui perce l'œuvre et signifie la grille d'un parc en pleine zone champêtre. Les paysages ne sont jamais des paysages totalement naturels : il importe qu'il y ait de l'humain, un personnage dans le paysage, comme cette forme allusive d'une femme qui promène son chien ou ce petit bonhomme sur un chemin de halage, indistinct sous l'arbre avec lequel il se confond. " Entre un arbre et un être humain, je préfère l'être humain ! ", lance Didier Majewski, du coin de son œil bleu.

Le parc, sa grille, s'ouvrent à l'enfant comme une aire de jeu. Pour l'artiste, ils servent à circonscrire un espace : " La liberté nécessite un espace ". La liberté, celle de goûter aux couleurs en ordre désordonné, celle de rêver à un objet à la limite de l'identifiable, ni tout à fait nuage, ni tout à fait avion, c'est aussi celle que laisse l'artiste à son spectateur, libre d'interpréter les multiples significations ouvertes par l'oeuvre. Le fait de laisser sécher la peinture à l'huile pour qu'elle délivre elle-même un message entraperçu, de la mettre en chantier pour la retravailler et pour la faire devenir totalement autre, de la faire couler en arrêtant à l'extrême limite sa vertigineuse descente de gouttelette libérée par la loi de la pesanteur, sont des plaisirs gratuits qui deviennent purs délices picturaux. Derrière ces traits noirs sur le fond gris, " il y a un petit peu de profondeur " dont jubile le regard du spectateur, sans savoir trop à quoi l'attribuer : lumière, espace indistinct, objet caché ? Par le recouvrement, Didier Majewski s'amuse à nous égarer : est-ce un temple grec, une porte dorique, une maison toute simple ? Les formes s'enchâssent jusqu'à la perte complète des repères.

La liberté de l'artiste consiste à noyer les formes : les arches sont parfois des arènes, parfois des arcades, parfois des ponts sous lesquels glisse l'eau. On les devine pourtant mais on n'ose pas les nommer de crainte de se tromper. Ce trouble fait éminemment partie du charme de son travail, de sa " poésie ". Mot galvaudé dont il faut se méfier. Cependant, quand la peinture coule et que le peintre tente de la récupérer sur une autre toile, de la faire glisser sans heurt, il a besoin d'une image pour désigner cet acte étrange. " Ces fleurs de peinture qui ont poussé sur une toile " ont inséminé un autre travail. " Elles ont coulé les unes sur les autres ", comme des larmes. On l'imagine courant à toute vitesse pour réceptionner la goutte qui s'échappe au bord du châssis, jouant avec elle, l'arrêtant dans son vol. Cela ramène à son goût des " choses un peu en suspension ", en apesanteur. Cela renvoie aussi au plaisir d'une création où une œuvre entraîne une autre, est à la naissance de l'autre, raconte son histoire. " Elles sont interactives entre elles, agissent les unes sur les autres ". Et de traverser tout l'atelier, pour montrer celle-là, née de celle-ci, et pourtant tellement différente, comme un frère d'un autre. Derrière la coulure, on devine les traces d'un premier univers, le fond exprimant souvent dans une étrange fusion des formes déjà présentes. Mais la coulure ne s'est pas arrêtée là. Elle a poursuivi librement son chemin sur un autre support, comme si la puissance de la peinture ne s'arrêtait jamais.

Cette idée d'une peinture capable de se " rédupliquer " indéfiniment vient peut-être de son goût pour la gravure et de son plaisir de créer des multiples. Quatre fois la même image, -au départ une photographie-, est reprise, devenant autre sous le geste du pinceau. Le choix initial d'un cliché simple, presque symbolique de la promenade : un homme solitaire qui marche, un arbre, de l'eau. A la fin, un quatuor d'images sépia où disparaissent et réapparaissent personnage et arbre…Le projet n'a pas été conçu dans un fauteuil, ex nihilo. Au départ, il y avait l'idée de quelque chose à expérimenter : " J'ai pensé….Je verrai ce que j'en ferai ". Tant d'humilité devant l'acte de peindre est peu fréquent en notre modernité. Encore un signe de liberté…

(Juin 2005)
Laurence Boitel, Responsable de la galerie de l'Atelier 2 / Espace Francine Masselis



PRINCIPALES EXPOSITIONS PERSONNELLES

2006
Jokelson/ petites vitrines.
Freycinet 4- Dunkerque.
Du 3 au 31 mars.

2005
Espace Francine Masselis-Atelier2-Villeneuve d'Ascq.

2004
La Sécu
26, rue Bourjembois-59000 Lille.
Galerie Labedelo - Montreuil/Mer.

2003
" Portrait d'en face "- Béthune.
Galerie Labedelo - Montreuil/Mer.
Maison Syndicale - Lens.

2002
Galerie Matisse. Seclin.
Les couleurs du temps. Atelier portes ouvertes.

2001
Galerie municipale d'art contemporain. Mourenx.
ARPAC - Fondation du Pioch Pellat. Castelnau le Lez.

2000
Installation land'art.Parc du Val Joly. Féron.

1999
" Ça m'a poussé dans la tête " Université du littoral. Dunkerque.
Abrial. Paris.

1998
Médiathèque Elie Wiesel. Béthune.

1995
Centre Européen de la Paix. Souchez.

1994
Comédie de Béthune. Centre Dramatique National. Béthune.
Summerlee Heritage Trust, Coatbridge, Ecosse.
Institut Français d'Ecosse. Edinburgh.

1988
Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts. Paris.

1987
Musée d'Art Moderne. Taipei. République de Chine.
Galerie E. Taipei. Taiwan.



PRINCIPALES EXPOSITIONS COLLECTIVES

2006
juillet

Installation land'art
et exposition
Dixmuide. Belgique

Mai
"en apesanteur"
Evin
59 Avelin

Décembre 2004, janvier 2005
Galerie Favre
Barcelone. Espagne

2003
Musée des beaux-arts de Tourcoing.

2002
Galerie Le Quai des Allégories. Nîmes.
" 15 plasticiens d'origine polonaise ".Centre Noroît. Arras.
Art/Topiques. Paris.
Musée d'ethnologie régionale. Béthune.

2001
Galerie Le Quai des Allégories. Nîmes.

1999
Bourse d'échanges artistiques. Preview Galery. Londres.
Festival international du cerf-volant. Berck sur mer.
Galerie Sin-Glin-Glin. Paris.

1998
Galerie Sin-Glin-Glin. Paris.
" 1. 2. 3. Pologne " Palais Rameau. Lille.
Fringe Festival. Hong Kong.

1997
Galerie Sin-Glin-Glin. Paris.
Galerie l'œil du 8. Paris.
1996
Mail'art. Saint Malo.
Palais des Congrès. Dinard.



FORMATION

Ecole des Beaux Arts. Douai.
Ecole Nationale Supérieure des Beaux- Arts. Paris.
National School. Taipei. Taiwan. République de Chine.



EXPERIENCES PEDAGOGIQUES

Initiateur de projets - Formateur - Animateur de stages et d'ateliers d'arts plastiques.
Publics concernés : scolaires, jeunes, adultes.
Partenaires : Education Nationale. Ministère de la Culture. Entreprises.



COMMANDES PUBLIQUES

Réalisation de peintures murales dans les entrées d'immeubles- Quartier de la Mouchonnière- 59 Seclin.
2000 (2 réalisations)
2001 (2 réalisations)
2002 (5 réalisations)
Peinture monumentale -verrière de la Maison Syndicale- Lens



EXPERIENCES PROFESSIONNELLES CULTURELLES

Organisation d'événements :
Semaines des Arts éphémères. Bruay la Buissière. 1992, 1993, 1994.
Supermarché d'Art Contemporain. Béthune. Bruay la Buissière. 1996, 1997.
Les 30 ans du barrage. Usine marémotrice de la Rance. E.D.F. Saint Malo. 1996.
Téléthon. Française de Mécanique. Douvrin. 1995.
La fête des brebis. Quartier des brebis. (Culture commune). Bully les mines. 1995.

Responsable de programmation d'expositions :
Médiathèque de Béthune. 1997, 1998, 1999, 2000, 2001.

Scénographie. Performance :
" Le goût du risque " Antoine de Saint Exupéry. L'Arimage - La Comédie de Béthune. (C.D.N.) 1995.

Création d'un manège :
Conception - Réalisation - Financement - Organisation de tournée. Bruay la Buissière. Bully les mines. Douvrin. 1995.



FILMS

2003
Réalisation d'un film d'animation en association avec Jean Ballon pour le théâtre.
" Les deux vols de Lenclume " de Bertrand Foly.
Production " La pluie d'oiseaux ".

2004
Réalisation d'un film d'animation pour le théâtre.
" Couloir à grande circulation " de Bertrand Foly.
Production " La pluie d'oiseaux ".

Collection publique:

Acquisition du conseil général du pas de Calais.